L’avocat de l’ancien gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé a présenté mardi devant l’assemblée plénière de la cour de cassation une action en responsabilité de l’Etat contre la chambre d’accusation de Beyrouth dans le dossier de l’enquête pour soupçons de corruption qui vise l’ex-patron de la BDL. M. Salamé, qui a dirigé la banque centrale depuis 1993, est également visé par plusieurs enquêtes en Europe, mais continue de se défendre contre toutes ces accusations. Une partie de l’opinion publique et des acteurs politiques le tiennent pour responsable de la crise économique qui frappe le Liban depuis 2019.
L’information de l’action contre l’Etat a été confirmée à L’Orient-Le Jour par l’avocat de M. Salamé. L’ex-patron de la BDL ne s’est pas présenté à son audition mardi matin devant la Chambre d’accusation de Beyrouth présidée par le juge Maher Cheaïto.
Le juge Cheaïto a tenté sans succès de notifier légalement l’ex-patron de la BDL de son audition de mardi, selon une source au sein du palais de justice de Beyrouth. La Chambre d’accusation a donc procédé à cette notification par affichage devant la porte de la Chambre d’accusation et devant le domicile de M. Salamé.
La Chambre d’accusation de Beyrouth que dirige le juge Cheaïto, est présidée, par rotation en période de vacance judiciaire, par plusieurs juges. S’y sont succédés les magistrats Mireille Mallak et Sami Soudki.
L’avocat de M. Salamé a donc présenté trois recours visant chacun des juges qui ont présidé et composé la chambre d’accusation jusque-là.
La chambre d’accusation se dessaisit
Le recours visant le juge Soudki a été enregistré auprès de l’assemblée plénière de la cour de cassation, selon la source précitée. Toutefois, les deux autres recours visant la juge Mallak et le juge Cheaïto n’avaient pas été initialement enregistrés, vraisemblablement à cause d’une erreur de procédure, explique la source.
Les actions contre les juge Cheaïto et Mallak ont toutefois finalement été enregistrées auprès du greffe, sur demande de l’avocat de M. Salamé.
La chambre d’accusation présidée par le juge Cheaïto a finalement décidé de se dessaisir de l’affaire, après le recours en question.
Cette action en responsabilité de l’État qui a ôté la mainmise des juges de la Chambre d’accusation sur le dossier Salamé, dès son enregistrement auprès du greffe de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, pourrait risquer d’entraver l’enquête. En effet, cette juridiction compétente pour se pencher sur le recours présenté par l’avocat de Riad Salamé, ne peut actuellement siéger, faute de quorum en raison du départ à la retraite de six de ses dix membres, dont le dernier en mars 2022. Ces juges n’ont toujours pas été remplacés au vu des désaccords sur les permutations judiciaires.
« Les actions en responsabilité de l’Etat, les recours pour suspicion légitime, et autres sont malheureusement souvent utilisés pour entraver le cours de la justice et des investigations », affirme Paul Morcos, directeur du cabinet Justicia, mentionnant à cet égard le blocage de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth depuis vingt mois. « Si ces recours font partie du droit à la défense, ils ne doivent pas être abusifs pour autant », ajoute-t-il, appelant à une modification de la loi pour restreindre leur champ d’application.
Le 9 août, Riad Salamé n’avait également pas comparu devant la Chambre d’accusation, faute d’en avoir été notifié. Au début du mois, la Chambre d’accusation avait décidé de convoquer Riad Salamé, après avoir annulé la décision du premier juge d’instruction de Beyrouth, Charbel Abou Samra, de laisser libre l’ancien gouverneur, à l’issue de son dernier interrogatoire.
Le magistrat avait, à la fin de l’audience, demandé à M. Salamé de se tenir à disposition de la justice. La décision du juge Abou Samra de laisser libre M. Salamé avait alors fait l’objet d’un appel de la part de la chef du contentieux de l’État, Hélène Iskandar, qui s’est constituée partie civile dans l’affaire Riad Salamé pour préserver les intérêts de l’État libanais.
L’ex-gouverneur était interrogé depuis plusieurs semaines dans le cadre de poursuites engagées par la justice libanaise contre lui en février dernier pour « faux et usage de faux, blanchiment d’argent, enrichissement illicite et évasion fiscale ».
Début août, les Etats-Unis, avec le Canada et le Royaume-Uni, ont imposé des sanctions économiques pour corruption à l’encontre de Riad Salamé et de son entourage.